Ben Russell poursuit sa route et son ascension des sommets avec son dernier opus, inspiré du Mont Analogue de René Daumal, texte remarquable qui semble avoir été écrit pour lui. De cette source littéraire, nous comprenons ce qui nous en est lu : une quête spirituelle et collective passe par la recherche d’une montagne hors de vue. Ben Russell en donne une transposition propre à son cinéma : il en condense à l’image toute la puissance méditative. La montagne invisible est un long Trypps (du nom des formes brèves, plutôt expérimentales, pratiquées par B.R.) renouant avec les mystères de la transcendance et les plaisirs psychédéliques. Ben Russell crée une structure qui circule entre une galerie de portraits (des musiciens en tournée) et les déambulations solitaires d’un homme qui part traquer les apparitions fugaces de la montagne invisible. Cette silhouette longiligne est filmée de dos en travelling dans le sillage de sa marche. Come as you are, c’est le titre mythique qui ouvre ce film tandis que nous goûtons au crépitement des guitares, aux nappes sonores qui étirent visages et paysages. Ben Russell courbe espace et temps, joue de glissements et de mouvements circulaires autour des visages filmés. Si notre personnage traverse dans son avancée des paysages variés, nous vivons un voyage immobile. L’ailleurs est d’abord dans le cinéma, que le cinéaste investit en passant de l’autre côté de la caméra (avec la complicité de Ben Rivers), formant un tandem inattendu avec son personnage, comme si fusionnaient le territoire imaginaire de la quête spirituelle et celui de la fabrication du film. L’espace le plus vaste et les sommets les plus hauts sont bien intérieurs. Les trouver requiert la reconnaissance des passages et des portes. La musique en est une. Les visions hallucinées de Ben Russell nous offre une traduction cinématographique éblouissante de ses possibilités sensibles. Le mont analogue chez Ben Russell, c’est la musique qui se fait image, le film analogue de la musique.
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